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Dans cet article nous vous présentons deux articles unis de la Revue des pères Carmes belges: Messager de Sainte Thérèse, 1921. Le p. Léon de st. Joachim ocd, se réfère à une lettre envoyée par le frère Raphael (Hakmé) qui a été envoyée de Rome. Les trois premiers carmes libanais sont de Kobayat.

 

 

LES PREMIERS PRETRES CARMES LIBANAIS

 

DANS l'histoire de la Mission de Syrie que j'ai publiée dans la Revue des Missions, l'aînée du « Messager » actuel, -récit qui fut interrompu par la guerre,- j'ai raconté comment le R. P. Cyrille (de la Province du Brabant), lors de son supériorat en Syrie, avait réalisé l'idée de former quelques jeunes libanais à l'apostolat, pour les besoins de la mission confiée à ses soins. Il n'est pas difficile de montrer quels immenses avantages, la présence, au sein du corps des missionnaires, de quelques prêtres indigènes doit fournir; mais je ne veux pas me répéter.

 

En 1909, quatre jeunes gens, trois libanais et un bagdadien recevaient l'habit de l'ordre, au couvent du Mont-Carmel ; c'étaient les frères, Michel, Raphaël, Gabriël et Jean de la Croix. Celui-ci, le bagdadien, après sa profession, rentra dans sa patrie. Le R. P. Aimé, de regrettée mémoire, était leur maître de novices. En 1910, ils firent profession, et reprirent leurs études humanitaires sous la direction du R. P. Henri, le nouveau Rédacteur de notre Revue, alors missionnaire au Carmel. En 1911, ils commencèrent avec lui, leurs études philosophiques. Enfin, en 1913, ils furent transférés à Bischerri, et y poursuivirent leurs études théologiques.

 

Ces jeunes gens ont persévéré, et Dieu vient de couronner leurs efforts, par la plus belle des couronnes, celle du sacerdoce. Le 18 septembre, les frères Michel, Gabriel et Raphaël furent ordonnés sous-diacres, et le lendemain, diacres, au patriarcat de Jérusalem, par Mgr. le patriarche latin Louis Barbassina. Le 10 Octobre, ils reçurent enfin l'onction sacerdotale, au Mont Carmel même.

 

Plusieurs de mes amis de Caïffa m'ont fait part de la beauté et l'éclat de la cérémonie. Mgr. Barbassina vint au Mont Carmel, le 7 Octobre, dans le but d'y consacrer la basilique et d'y procéder à l'ordination de nos religieux. Il fut reçu officiellement à la gare par le gouverneur anglais. Les latins, musique en tête, les maronites, les grecs catholiques, et même des chefs musulmans étaient représentés à la réception; seuls les grecs-schismatiques firent abstension, marquant une fois de plus leur incurable sectarisme. L’évêque monta de suite au Carmel, escorté par un piquet d'honneur composé de soldats anglais.

 

Le 10 octobre donc, après les cérémonies de la consécration de la basilique, entourés d'un grand nombre d'écclésiastiques et de religieux de différents rites, nos jeunes confrères furent ordonnés. Mgr. Bernard, le vénérable ancien-évêque de Vérapoli et Mgr. Haggear, évêque grec-catholique de S. Jean d'Accre rehaussaient la fête de leur présence. L'église était trop petite pour contenir la foule des fidèles, venus de Caïffa, d'Abelin et de Chef-Amàr.

 

Il m'est doux de dire que les jeunes prêtres se sont souvenus, en ce grand jour de leur vie, de ceux qui leur ont préparé ce bonheur; ils ont envoyé au R. P. Henri, en Belgique, l'assurance de leur gratitude.

 

Le R. P. Michel (Michel Safatli) a déjà sa mission. Il restera à Caïffa pour venir en aide au R. P. Elie, curé de la paroisse latine. Les R. P. Gabriel (Gabriel Kastoun) et Raphaël (Raphaël Hakmé) ont été appelés à Rome par les Supérieurs Généraux, d'après les désirs exprès du S. Père, pour y poursuivre encore leurs études au collège Oriental. Avant de quitter la Syrie, les nouveaux prêtres ont pu se rendre à Kobbayat, leur village natal, pour y chanter une messe solennelle. C'est la première fois que ces populations 'ont été témoin de ce spectacle.

 

Que Dieu bénisse ces nouvelles recrues; qu'elles soient les prémices d'autres vaillants ouvriers du Christ, suscités au sein du noble peuple maronite et destinés à le féconder pour le bien. C'est ma conviction profonde, les dispositions de la nation maronite sont telles, qu'avec un clergé régénéré et instruit on fera du peuple libanais la perle de l'Eglise catholique.

 

 

 

Festivités en l'honneur des trois premiers Carmes déchaussés du Liban

 

Le R. P. Supérieur du Carmel leur permit, avant qu'ils s'embarquassent pour la Ville Éternelle, de rendre, au Liban, visite à leurs parents qui depuis tantôt 14 ans attendaient l'heureux jour de la première messe solennelle de leurs enfants. Le cher P. Raphaël nous donnera le récit des fêtes.

 

"Nous nous embarquâmes le 21 octobre 1920, à 8 heures de soir sur l'Umbria, qui, après avoir passé la journée de 22 à Beyrouth nous déposa le 23 à Tripoli. J'eus, arrivé au Couvent, la consolation d'y embrasser mon frère venu à notre rencontre.

 

Le T. R. P. Stanislas, Supérieur de la mission eut à coeur de fêter notre arrivée; il invita donc les familles amies des Pères. Il était juste que tous ceux qui nous avaient recueillis et aidés, alors que nous vivions tristes et désolés durant la guerre mondiale, participassent à notre bonheur.

 

Le 26, dans l'après-midi nous montâmes, en automobile à Kobbayat, c, à d. jusqu'à Halbé, d'ou, vous le savez on s'enfonce à pied ou à cheval dans la montagne pour atteindre notre cher Kobbayat. Comme nous ne pouvions arriver à destination que bien avant dans la nuit nous nous arrêtâmes à Halbé chez les bons religieux maronites de Deïr Jannin. Le lendemain, de très bon matin nous étions à Kobbayat où nous célébrâmes le Saint Sacrifice, portes closes. Nous avons dû suivre ce programme pour éviter l'accueil tumultueux que nos ardents compatriotes n'eussent pas manqué de nous faire. Vous n'ignorez pas ce que cela signifie. Mécontents de notre arrivée subreptice, nos amis s'en sont vengés d'une façon originale. Comme les messes d'honneur étaient fixées au 31 octobre, 1 et 2 novembre, ils ne prétendaient pas attendre jusqu'alors pour nous voir à l'autel. Tous se confessèrent le 28, 29 et 30 pour pouvoir communier de nos mains!

 

Le 30, à 8 heures du soir, pendant que nous étions à table, voilà que tout à coup les cloches de toutes les églises et chapelles dessiminées sur la montagne se mettent en branle et des coups de fusil éclatent partout. D'un bond nous étions sur pied, et debout sur la terrasse du couvent. Presque toutes les maisons étaient illuminées. Spectacle féerique! Nos gens eurent vite fait d'organiser leur illumination, et bientôt de notre terrasse jaillit également la flamme joyeuse de multiples brasiers tandis que crépitaient les coups de fusil et qu'on hissait la bannière tricolore... Tout le monde avait oublié qu'il était sévèrement défendu de tirer.

 

Le moudir croit qu'on méprise ses ordres et défenses; irrité, il appelle un de ses soldats qu'il charge d'aller examiner ce qui se passe, Notre héros s'équipe et se rend vers l'endroit d'où part la plus vive fusillade; il voit devant lui mi bataillon de jeunes gars qui, bien en rang tirent consciencieusement leurs feux de salve, tandis qu'un groupe compact de femmes et de jeunes filles, dans leurs plus beaux atours, les acclament par leurs chants et leur fameux Ri-ri-ri-riche. Un musicien, assis au milieu d'eux sur un rocher, les enivrait des accents mélodieux de sa flute, pendant qu'un autre, un verre d'arac à la main, réchauffait leur ardeur. On chantait, on dansait, on tirait.

 

Que faire? Résister à la tentation? Notre pauvre soldat était lui-même un jeune Kobbayatin, au sang chaud et généreux et tous les gars qu'il avait devant lui, étaient ses compagnons; durant six mois il avait battu avec eux la montagne; au nombre de 150, ils ont sous le commandement d'un officier français tenu tête à une bande de 500 Métouélis lichés contre Kokbayat par les musulmans de Baalbeck et les ont forcés à la retraite... Il n'y tient plus.... « Camarade, crie-t-il, au coryphée de la bande, passe moi un verre... », il boit puis, ployant le genou, la main gauche sur la joue, brandissant de la droite son fusil, il entonne cette strophe enflammée que les soldats de joseph Karam répétaient, jadis, avec ardeur.

 

" Montagnes du Liban que votre zéphyr est doux!

Pendant les grandes chaleurs,

Nous trouvâmes refuge à l'ombre de vos cèdres;

Nos officiers vous protégèrent par le cimeterre

Contre les assauts des ennemis,

Et firent couler le sang jusqu'aux genoux. „

 

Et les femmes d'applaudir par leur ri-ri-ri-riche, et les jeunes gens de multiplier leurs coups de fusil, et lui de vider sa cartouchière. Puis, écoutant la voix du remords, il s'en fut d'une haleine chez le Moudir " La Bénédiction de Dieu sur vous, Excellence! Trois jeunes Pères, tous trois de Kobbayat sont arrivés! Ils ont été récemment ordonnés Prêtres et travailleront bientôt à l'instruction de la jeunesse et au salut des âmes! Ne fallait-il pas qu'on les saluât avec des feux de joie; - " Allah taivil amrak! Que Dieu prolonge vos jours! „ - et d'un verre d'arack? „

Le Moudir qui est lui-même un bon maronite, accepta l'augure et laissa faire.

 

Le 31, le R. P. Michel chanta sa messe d'honneur. L'église, pour grande qu'elle est, pouvait â peine contenir la foule des fidèles. Le Moudir, un officier français et tous les notables du pays étaient présents. Nombreuses furent les Communions.

Je fus à l'honneur le 11 novembre, et le P. Gabriel le lendemain, toujours au milieu de la même affluence de monde. Après la Messe du P. Gabriel, on chanta l'office des morts, puis toute la foule se rendit avec nous au cimetière, où le R. P. Michel, qui faisait l'office de diacre, prononça un touchant discours sur la vanité du monde et la nécessité de secourir les défunts par des prières et des bonnes oeuvres.

 

A midi il y eut naturellement grand festin au couvent. Y prirent part outre les religieux présents, nos parents, le Moudir, l'officier français, Mohammed Rachid Bey et les principaux du pays. On prononça des toasts en arabe, en français, en italien. Le Moudir au nom du pays remercia les Carmes de leur dévouement séculaire au bien-être spirituel et temporel de Kobbayat, dévouement qui leur a attiré la reconnaissance et l'amour de toute la population.

 

Nous partîmes le 3 novembre pour Tripoli et de là pour Caïffa où nous demeurâmes tout le mois de novembre,, après avoir séjourné, en quarantaine parce que nous venions de la Syrie, durant cinq jours sous des tentes anglaises. Le 5 décembre nous montâmes à bord du navire qui nous devait transporter en Italie. Nous profitâmes des trois jours d'arrêt que nous eûmes à Alexandrie, pour pousser jusqu'au Caire, où nous reçûmes l'hospitalité la plus large chez Mr. Kyan, un Irlandais, grand ami du Carmel, qui se mit lui-même et son auto à notre entière disposition. Le 11, nous étions de nouveau à bord, le 14, à Syracuse, le 15 à Catania, noyée dans la verdure, et dominée par le fumant Etna couvert de neige, semblable à un vieux cheick musulman fumant son arghilé. Le 16 nous étions à Naples. Les italiens ont beau dire, « voir Naples et puis mourir » nous n'avions nulle envie de mourir! Aussi nous partîmes le 19 pour arriver à Rome le 20. Nos cours ont commencé le 3 janvier. Priez pour nous afin que nous puissions devenir de dignes prêtres et de vaillants missionnaires.

 

La Revue Messager de Sainte Thérèse, 1921

 

Article prepared by Father Raymond Abdo ocd

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